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SCHADENFREUDE (LA MALVEILLANCE) – Par Rony Akrich

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SCHADENFREUDE (LA MALVEILLANCE) – Par Rony Akrich

SCHADENFREUDE (LA MALVEILLANCE) – Par Rony Akrich
Réflexions pour un nouvel an…peut être bienveillant!

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Ces dernières décennies, « schadenfreude », un mot allemand signifiant «jouissance malveillante des malheurs d’autrui», a gagné en popularité dans le monde anglophone.
Être heureux ne suffit pas, ce qui importe c’est que les autres soient malheureux.
Certaines personnes peuvent apprécier les malheurs d’autrui si elles les envient, mais elles seront plus susceptibles d’éprouver un « malin plaisir » en apprenant les chagrins d’un individu qu’elles n’aiment pas.

Le philosophe allemand Arthur Schopenhauer serait perturbé par la notion de ‘bonne schadenfreude’.
Il l’intitule lui-même « le pire trait de la nature humaine . . . étroitement apparenté à la cruauté ».
Schopenhauer fait la distinction entre l’envie et ‘le plaisir malin’.

« Ressentir le désir est humain; mais se livrer à une telle malveillance est diabolique et effrayant. Il n’y a pas de signe plus infaillible d’un cœur complètement mauvais et d’une profonde insignifiance morale qu’un penchant pour un pur plaisir malin et non déguisé de ce genre. L’homme chez qui ce trait est observé doit être à jamais évité. » (Éthique, droit et politique 1851)

Mais avait-il raison?
Devrions-nous tous avoir honte de nous-mêmes?

Avant de répondre à cette question, clarifions le concept!
L’aphoriste français du XVIIe siècle, François de La Rochefoucauld, décrit ‘schadenfreude’ quand il dit: «Nous avons assez de force pour supporter les malheurs des autres. »
Mais il ne dit pas que nous prenons plaisir à leurs malheurs, il dit que nous pouvons endurer les souffrances des autres parce qu’elles ne sont pas nôtres.
A la lecture de ‘Sur la nature des choses’ écrit par Lucrèce, nous trouvons un passage considéré comme un des premiers exemples de ‘schadenfreude’:

«Il est doux, quand la mer est haute et que les vents soulèvent les vagues, de contempler du rivage le danger et les efforts d’autrui: non pas qu’on prenne un plaisir si grand à voir souffrir le prochain, mais parce qu’il y a une douceur à voir des maux que soi-même on n’éprouve pas».

La douceur réside dans l’observation des maux dont vous êtes libres, c’est un soulagement et non un ‘plaisir malin’. Ce concept concerne toujours une personne que vous aimez ou connaissez, il serait sadique de profiter des infortunes d’êtres anonymes.

Toutefois, que se passerait-il si l’individu sur le rivage savait que le navire était rempli de ces maraudeurs qui avaient pillé son village?
Serait-il alors susceptible de ressentir une quelconque malveillance?

La Bible hébraïque nous enseigne:
«Lorsque ton ennemi tombe, ne te réjouis point; s’il succombe, que ton cœur ne jubile pas!» (Proverbes 24:17).
Néanmoins, disons-le sans crainte, la plupart des êtres humains se réjouissent lorsque leurs ennemis tombent.

L’un des précédents littéraires, des plus fameux, se trouve dans le Tartuffe de Molière, lorsque le scélérat éponyme est envoyé en prison. Tartuffe utilise la piété religieuse pour convaincre le chef de famille de lui céder sa maison et déshériter le fils, il est donc raisonnable de prendre plaisir à son arrestation. Dans les comédies, il y a presque toujours des sourires satisfaits quand le méchant obtient ce qu’il mérite, mais dans les tragédies, quand le méchant meurt, l’émotion suprême ressentie est la catharsis, une sorte de soulagement profond que l’ordre soit rétabli.

La Rochefoucauld écrit à propos du plaisir malveillant qu’une personne éprouve face au malheur d’un ami:
«Dans l’adversité de nos meilleurs amis, nous trouvons toujours quelque chose qui ne nous déplaît pas.»

Il peut vouloir dire que nous sommes soulagés que ce ne soit pas notre malheur. Cependant, cette maxime n’apparaissait pas dans la deuxième édition des œuvres, peut-être l’auteur n’en était-il plus satisfait.
Certaines personnes sont plus enclines à être envieuses et sont donc plus susceptibles de se sentir malveillantes envers celle qu’elles jalousent, si celle-ci subit un dommage.

Une étude récente montre une corrélation neurologique entre la douleur de l’envie et le plaisir de la malveillance.

«Une plus grande activation des voies de la douleur à la nouvelle de la bonne fortune de la personne a prédit plus d’activation dopaminergique après avoir appris son malheur. Ainsi, il y a une activation dopaminergique pendant la « schadenfreude » – jubilation de la chute d’une personne enviée.» (Robert Morris Sapolsky, professeur de biologie et de neurologie à l’université Stanford.)

Les chercheurs de l’université de Princeton rapportent : nombre de personnes, dont les centres de plaisir du cerveau s’illuminent, pour ainsi dire, du malheur d’une personne enviée, démentent ressentir un quelconque plaisir.
Cette réticence à admettre le sentiment est compréhensible car notre fierté, notre désir de bien penser, provoque une forte réserve à nous sentir ‘schadenfreude’ quand un ami que nous jalousons est victime d’un désastre.

La Rochefoucauld propose une explication:
«Souvent, la fierté qui suscite tant d’envie nous aide aussi à l’atténuer»
Je suis sûr que même Schopenhauer aurait eu une poussée de malveillance en lisant une critique acerbe d’un livre de Hegel, qu’il appelait ‘le charlatan’. Son biographe dit qu’il «se réjouissait d’obtenir toutes les informations qu’il pouvait utiliser pour rabaisser le philosophe de l’absolu» – c’est-à-dire Hegel.
Schopenhauer semble en effet avoir été privé du sens de l’humour.
Il estimait que la nature avait doté son cœur «de suspicion, d’irritabilité, de véhémence et d’orgueil».
Son éditeur l’a qualifié de «chien enchaîné».
Sa mère a rompu ses relations avec lui parce qu’il était si arrogant et de mauvaise humeur.

« Schadenfreude » est généralement considérée comme une récréation opportuniste, un sport de spectateur, une émotion furtive, et ce n’est pas étonnant. Lors des malheurs d’autrui, les états jubilatoires sont fréquemment le signe d’une grande inimitié.
Shylock dans le «Marchand de Venise» peut à peine se contenir en apprenant que son rival Antonio a perdu un cargo en mer:
«Dieu soit loué ! Dieu soit loué ! Est-il bien vrai ? Est-il bien vrai ? Bonne nouvelle! Bonne nouvelle!»;
Nous pouvons certes être inquiets, non seulement de paraître malveillants, mais aussi de voir que notre « Schadenfreude » raconte nos autres défauts – notre abjection, notre convoitise, nos sentiments d’insuffisance.
Les revers des autres soulagent nos propres appétences et notre profonde insuffisance, ils nous autorisent à une ébauche indispensable du sentiment de supériorité. Le ressentiment en dit tout autant sur nos fragilités que sur nos comportements face à la conduite des autres. La satire est drôle à entendre, nous voici plus prompts à glousser devant les échecs des plus riches, des plus en vogue et plus talentueux que nous.

Les psychologues appellent toutes ces émotions «cognitives» – en d’autres termes, pas simplement des réactions réflexes aux déclencheurs externes, mais des processus complexes nous obligeant à évaluer et juger notre relation avec le monde à l’entour et ainsi adapter nos réponses en conséquence.

Que motive ce soudain intérêt pour « Schadenfreude »?

Sans aucun doute, est-il en partie motivé par nos tentatives de comprendre la vie dans le monde en ligne, où ricaner sur d’autres personnes, autrefois souvent socialement inapproprié, comporte désormais moins de risques.
A mon avis, tout aussi important est notre engagement croissant, ou non, envers l’empathie.
La capacité de nous adapter à la souffrance des autres est très au goût du jour – et à juste titre.
Souffrir la souffrance d’autrui, se réjouir de la joie d’autrui, aurait un impact sur notre capacité à guider les autres, à devenir parents, à être un partenaire et un ami décent.

Les humanistes du XXIe siècle considèrent non seulement l’empathie comme une réponse «naturelle» menacée dans un monde moderne frénétique et atomiste mais la trouvent, par certains égards, également fâcheuse.
Rares sont ceux d’entre nous qui apprécient la souffrance d’autrui pour elle-même, le plus souvent nous jugeons et admettons la peine, elle serait méritée ou utile, d’une manière ou d’une autre. Un témoignage et une preuve, non point de pure malice, mais du désir de nous préserver de tout déséquilibre moral.
Bien sûr, « Schadenfreude » a ses avantages: un bonheur éclair qui atténue le malaise ou l’envie; une façon de créer des liens face à l’échec d’un patron ou d’un collègue suffisant.
C’est aussi la manifestation de notre pouvoir de flexibilité émotionnelle, par opposition à une certaine rigidité morale.
C’est notre capacité à garder à l’esprit, de concert, des pensées et des sentiments sans doute contradictoires. Schadenfreude et sympathie ne sont ni l’un ni l’autre comme on le suggère parfois, mais peuvent être ressentis d’un seul coup.

Dostoïevski le savait quand, dans «Crime and Châtiment», Marmeladov est emmené, ensanglanté et inconscient, dans l’immeuble de Saint-Pétersbourg où il vit, à la suite de son accident où tous les habitants se pressent.
Dostoïevski écrit:

«Les locataires refluèrent lentement vers la porte avec cet étrange sentiment de satisfaction intérieure qui apparaît toujours, même chez les intimes, lorsqu’un malheur soudain accable le prochain, sentiment auquel chaque homme, sans exception, est sujet, indépendamment du plus sincère sentiment de pitié et de compassion.»

Nous vivons peut-être à l’ère de « Schadenfreude » et nous craignons, à juste titre, de voir cette émotion nous conduire à la forfaiture, mais comme pour toutes émotions, la condamner ne nous mène pas très loin.
Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est de pouvoir analyser le sens de cette émotion, tant décriée, ce qu’elle apporte à nos états d’âme et ce qu’elle dit de nos relations avec nous-mêmes comme avec les uns et les autres.

SHANA TOVA YEDIDIM – YEDIDOT

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